17

Bob Morane, Bill Ballantine, Ambrosio Cerdona et Collins, ce dernier ayant sa jambe blessée allongée sur une chaise, se trouvaient assis face à Ramon Pedregal, dans la pièce servant auparavant de bureau à ce dernier. Complaisamment, Pedregal avait raconté son histoire à l’intention d’Ambrosio Cerdona. Quand il eut terminé, le président croisa les mains à hauteur de sa poitrine, en un geste de prière.

— Je n’aime pas me poser en justicier, Pedregal, dit-il. Vous savez bien même que je suis plutôt enclin à la pitié. Pourtant je ne me sens pas décidé à montrer de la faiblesse à votre égard. Vous êtes un criminel et, comme tel, vous devez payer vos forfaits. À notre retour à Lima, vous comparaîtrez devant un tribunal, et ce sera le peuple péruvien lui-même qui, en la personne des jurés, vous condamnera. Je doute fort que, malgré les meilleurs avocats, vous réussissiez à échapper à la peine de mort…

Ramon Pedregal éclata de rire, d’un rire dans lequel transparaissait un léger accent de démence.

— Vous vous trompez, Cerdona, dit-il. Aucun tribunal ne peut plus m’inquiéter… La peine de mort… Mais je suis déjà un homme mort. Tout à l’heure, avant d’être capturé par vos soldats, j’ai avalé du poison contenu dans le boîtier de ma montre. C’est un poison indien qui agit très lentement et contre lequel il n’y a pas d’antidote… Il ne doit pas tarder à faire son effet. Voyez-vous, je suis joueur ; j’ai risqué et j’ai perdu, et il me faut régler la note à présent. Les dettes de jeu sont sacrées, vous le savez, et jamais je n’en diffère le paiement. Mais avant de mourir, Cerdona, laissez-moi vous dire quelque chose. J’ai tout prévu pour que, même après ma mort, l’on parle encore de moi… Dans deux heures, cinquante fusées chargées de puissants explosifs et de phosphore quitteront cette vallée pour s’abattre sur Lima qui sera ainsi presque entièrement détruite. Ce que les explosifs n’auront pas anéanti, le feu s’en chargera. Au moment où les troupes aéroportées ont attaqué la vallée, j’ai eu le temps de régler le mécanisme d’horlogerie commandant le départ des fusées… Oui, Lima sera détruite, et vous ne pouvez rien pour empêcher cela, Cerdona. Vous ne connaissez pas l’emplacement des rampes de lancement et le mécanisme d’horlogerie qui commande le départ des fusées est soigneusement caché.

Le petit homme tira de sa poche une montre en or au boîtier enrichi de pierreries. Il la consulta et continua :

— Il va être dix heures du matin. À midi précis, les fusées quitteront la vallée pour aller s’abattre sur la capitale. En deux heures vous ne possédez pas le temps matériel pour découvrir et détruire le mécanisme d’horlogerie dont je viens de vous parler. Ainsi, Cerdona, je ne régnerai pas à Lima mais vous n’y régnerez pas non plus, car la ville sera détruite.

Le silence se fit total entre les cinq hommes. Morane, Cerdona, Ballantine et Collins interrogeaient des yeux le visage du Roi des Mines pour voir si celui-ci ne bluffait pas. Tous quatre eurent vite cependant la certitude qu’il n’en était rien. Une fébrilité soudaine s’empara de Cerdona.

— Pourquoi voulez-vous à tout prix ne laisser derrière vous que ruines et destructions ? interrogea-t-il à l’adresse de Pedregal. Dites-nous où se trouvent les rampes de lancement et comment on peut parvenir au mécanisme qui commande aux fusées… Dites vite. Il en est temps encore…

Pedregal ne broncha pas. Une pâleur mortelle avait envahi son visage et il sembla que ses petits yeux bruns s’éteignaient. Il eut une brève contraction des lèvres.

— Dites vite, fit encore Cerdona. Je vous en supplie, parlez tant que vous le pouvez. Des milliers et des milliers de vies humaines sont en jeu…

Pedregal eut une nouvelle grimace, plus violente cette fois. Il porta les mains à son estomac et laissa échapper une courte plainte.

— Non… De toute façon… il n’est plus temps, même si je le voulais… Le poison…

Son visage était maintenant secoué de tics violents et des taches noirâtres apparurent sur ses joues. Et brusquement, il se dressa, se cabra comme sous l’effet d’une décharge électrique et, d’un bloc, s’écroula les bras en croix sur le plancher, où il demeura immobile, comme foudroyé.

 

*

 

— Il n’y a plus rien à faire, dit Morane. Il est mort et bien mort… Exit Pedregal.

Le Français se redressa de dessus le corps inerte du Roi des Mines et eut un geste d’impuissance.

— Rien à faire, fit-il encore.

Il y eut un moment de consternation puis Cerdona demanda d’une voix hésitante, à l’adresse de Morane :

— Croyez-vous qu’il parlait sérieusement au sujet de ces fusées qui dans deux heures doivent prendre le départ automatiquement ?

— Je le crois, dit Bob. Mais nous n’en aurons la certitude que dans deux heures. Au moment où les fusées quitteront leurs rampes nous ne pouvons manquer de les apercevoir mais, alors, il sera trop tard. Même si Pedregal bluffait, nous ne pouvons courir un tel risque. S’il y a une seule chance qu’il ait dit vrai, nous devons au plus vite tout mettre en œuvre pour empêcher le départ des fusées…

— Pour cela, fit remarquer Ambrosio Cerdona, il nous faudrait connaître l’emplacement des rampes. Or, vous m’avez dit tout à l’heure n’avoir pu le découvrir.

— En effet… Au cours des quelques jours que j’ai passés dans cette vallée, j’ai tenté par tous les moyens de repérer les rampes en question, mais en vain…

Le président se tourna vers Collins et demanda :

— Et vous, Collins ? Ne possédez-vous aucun indice qui puisse nous mettre sur la voie ?

L’Américain eut un signe négatif.

— Aucun, Excellence. Je vous l’ai dit déjà, chaque fois que les fusées devaient être lancées, au cours de mon séjour ici, tout le monde était consigné dans les habitations et les fenêtres soigneusement occultées de l’extérieur. Je ne puis donc vous renseigner…

Comme mû par un ressort, Ambrosio Cerdona, se dressa soudain. Il appuya ses poings crispés sur le dessus du bureau, avec une telle force que ses phalanges blanchirent, comme si le sang quittait ses mains.

— Il nous faut faire quelque chose, fit-il. Il nous faut faire quelque chose… Vous entendez mes amis ? Si Pedregal a dit vrai, dans deux heures un ouragan de feu s’abattra sur Lima et des hommes mourront. Des hommes, des femmes et des enfants périront brûlés par le phosphore. Il nous faut empêcher cela à tout prix ! Il nous faut empêcher cela à tout prix !

— Je ne vois qu’une solution, fit Ballantine. C’est de tout mettre en œuvre pour découvrir l’emplacement des rampes. Que diable, une cinquantaine de fusées genre V2, cela ne se cache pas aussi aisément qu’une aiguille à repriser…

— Bill a raison, dit Bob avec force. Au lieu de demeurer ici à discuter, nous ferions mieux de commencer les recherches. Donnez des ordres Excellence, pour que tous les soldats parachutés dans la vallée se mettent sans retard en campagne. Pas un seul instant ne doit être perdu…

Une expression d’inébranlable volonté tendit soudain le visage du président Cerdona.

— Vous avez raison, commandant Morane. Il nous faut découvrir ces rampes homicides avant qu’il ne soit trop tard… Il faut que nous les découvrions !… Il faut que nous les découvrions !…

Comme un fou, Cerdona se précipita vers la porte et sortit en hurlant des ordres à l’adresse des soldats et de leurs officiers.

 

Tempête sur les Andes
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